mardi 2 février 2010

Lettres de délation

Lettres de délation, saison culturelle 2009-2010 à Lentilly

Spectacle inspiré du livre de André Halimi, mis en scène et interprété par François Bourcier.

François Bourcier nous emmène dans un univers un poil foutraque dans lequel il lit des lettres de délation, malheureusement authentiques, écrites pendant la 2nde Guerre Mondiale, sous le régime de Vichy. Un poil loufoque donc son univers, comme pour mieux laisser au spectateur la possibilité de reprendre son souffle entre deux lectures de ces lettres qu’il présente en campant les personnes les ayants rédigées. Défilent ainsi, sous nos yeux ébaubis par tant de haine, d’intolérance, de mesquinerie, de pragmatisme, des personnages tellement (in)humains. Racisme, jalousie, patriotisme à outrance ou tout simplement méchanceté gratuite s’articulent et alimentent un effroyable amalgame faisant de l’Autre la cause de tous les maux ; stigmatisant l’Autre en l’identifiant au danger ; cristallisant sur l’Autre toutes les rancœurs et les peurs.. Pour finalement concourir à faire de l’Autre la cible, la proie, enfin la victime du régime nazi. J’aimerais mettre en relation ce spectacle avec une chanson de Mr Roux, dans son album Ah si j’étais grand et beau

Parce que je suis pas raciste mais quand même
Les étrangers profitent du système
Y 'en à marre d'assister
Tous ces feignants qui veulent pas bosser

Moi, j'suis qu'un homme ordinaire
On est des milliards comme ça sur terre
A attendre une guerre ou une dictature
Pour révéler au monde notre pourriture

Moi, j'suis qu'un homme ordinaire
Rien qu'un salaud exemplaire
Mes lâchetés, mon indifférence
Font de moi un bourreau en puissance


Il y a du Chaplin et du Marceau dans l’interprétation de François Bourcier. On sourit aux mimiques et aux gesticulations de cet énergumène qui pendant un peu plus d’une heure nous assène une vérité terrible. Malgré les sourires, voire les rires, qu’il parvient à déclencher, au fil des lettres qui s’abattent comme autant de lames de guillotine le malaise monte, grandit et finalement produit une insupportable nausée devant les agissements de certains Français.

François Bourcier est un passeur de mémoire, il nous fait une piqure de rappel des atrocités et des immondices qui ont été perpétrées par le passé, légitimées ou encouragées par un état de fait. En sortant, on chancèle, secoué comme à la sortie d’un ring après reçu un upercut dans la tronche. On ne peut alors qu’appréhender les dérives actuelles des débats et des politiques qui stigmatisent l’Autre, qui ne font exister des groupes uniquement parce que leurs membres se différencient de l’Autre. François Bourcier nous alerte sur les dangers de telles dérives, dans lesquelles les sociétés se construisent une identité reposant sur l’exclusion et non pas sur le partage de valeurs voire d’Histoire communes.

Malheureusement, au regard de la dimension actuelle de ces débats, aux vues de la réception voire de l’adhésion à ces propos de la part d’une frange de la population, on ne peut qu’être dépité, effrayé de voir que les erreurs du passé s’amoncèlent et se reproduisent. Inlassablement. François Bourcier fini son spectacle ainsi :

« Quand ils ont arrêté les Juifs, je n’ai rien fait. Normal, je ne suis pas juif.
Quand ils ont arrêté les Franc-maçon, je n’ai rien fait. Normal, je ne suis pas Franc-maçon.
Quand ils ont arrêté les communistes, je n’ai rien fait. Normal, je ne suis pas communiste.
Quand ils ont arrêté les homosexuels, je n’ai rien fait. Normal, je ne suis pas homosexuel.
Mais quand ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour les en empêcher… »

Là encore, les mots de Mr Roux font échos à ces paroles :

C'est pas moi qu'irais relever
Un homme blessé ou allongé
Je me mêle pas de ce qui me regarde pas
A chacun sa croix , et c' est mieux comme ça

Quand dans la rue , un homme se fait braquer
Je baisse les yeux pour pas regarder
Je vois pas pourquoi j'irais l'aider
Après tout, peut-être qu'il l'avait cherché



Espérons que François Bourcier poursuive longtemps ce travail de mémoire pour que l’on soit le plus grand nombre possible à entendre son épilogue. Qui me trotte encore dans la tête. Et peut être qu’un jour, on verra les sociétés se construire sur le « vivre ensemble » et non plus le « vivre sans l’Autre ».