jeudi 27 mai 2010

A quoi ça ressemble une manif' aujourd'hui?

La question mérite d'être posée. A l'heure où les décideurs (politiques, entrepreneurs et syndicats) planchent (ou font croire que) sur la question des retraites et la résolution de la problématique liée à la crise, on assiste à une recrudescence des mouvements sociaux.

Exprimer un mécontentement, un désaccord, un ras-le-bol.. pousser un cri des désespoir.. tout cela dans l'optique d'être entendu, de faire changer une situation considérée comme injuste ou inacceptable.

Je ne vais pas souvent manifester. Mes conditions de travail de pompiste, dans une TPE (3 employés) font que j'ai un peu du mal parfois lorsque j'entends les mots d'ordre des grévistes. Je n'ai ni CE ni syndicats à mon boulot. Les dimanches et les jours fériés ont pour moi disparu lorsque j'ai paraphé mon contrat. J'ai donc parfois l'impression que ceux qui descendent dans la rue sont ceux qui sont déjà les plus défendus. N'empêche, il m'arrive de manifester, par solidarité, car je sais pertinemment que pour moi la situation n'évoluera pas. C'était le cas il y a un an pour la réforme relative à la formation des enseignants. C'était le cas il y a quelques temps pour le CPE.

Ma 1ère manif', je l'ai faite entre les 2 tours de l'élection présidentielle de 2002. Les souvenirs que j'en garde sont ceux d'un rassemblement monstre, avec du bruit, des cris.. une union sacrée pour enrayer une lame de fond que personne n'avait vu venir et qui nous rappelait à tous que Pétain et Vichy n'étaient finalement pas si loin. Cela correspondait à l'image d'épinal d'une manifestation, symbole d'un engagement fort, de l'affrontement aussi.. Bref une manif' avec les tripes, façon 68.

En ce 27 mai 2010, je suis allé manifester. D'une part parce que je trouve que trouve que la réforme des retraites telle qu'elle nous est présentée aujourd'hui s'articule injustement autour d'un unique pivot (l'âge légal de départ à la retraite). D'autre part pour prendre des photos. Je voulais immortaliser un mouvement social tel qu'il l'est dans mon esprit, figer la colère et les revendications à travers mon objectif. A l'instar du héros de Manu Larcenet dans sa série Le Combat Ordinaire, je voulais aussi immortaliser des "gueules", des visages burinés par les années et l'effort. Bref, des visages vrais. D'hommes et de femmes qui travaillent dans le réel, pas qui taquinent la souris et les claviers pour spéculer dans le virtuel.

Cela n'a pas été possible. Cette manif' du 27 mai s'apparentait plus à une pause déjeuner au soleil permettant de papoter entre potes, de retrouver collègues et amis afin de déambuler tranquillou sur un cours Gambetta enfin libéré de ses voitures. Peu de monde, peu d'engouement, peu d'engagement. Par-ci par là des slogans, des tracts, quelques dictaphones. That's all. Ah, si, j'oubliais. Beaucoup d'autocollants et de bannières aux couleurs des syndicats. Pour montrer qu'on est là. En même temps, si on est juste là pour papoter et se promener, ça fait pas vraiment avancer le schmilblik.

Mes photos représentent ce sentiment que j'ai éprouvé. On y voit les gens en train d'échanger, parfois sur le problème des retraites, mais plus souvent sur le temps qu'il fait et la santé des enfants. On peut aussi y déceler de la surprise, de l'appréhension face à cette manif' qui décidément n'en a que le nom.









Cette photo est ma préférée de la série. C'est elle qui m'a le plus marqué. Ce cliché aurait pu se suffire à lui seul pour résumer mon sentiment.



Cet homme , dont le visage est marqué par les années et le labeur, regarde, hébété, le cortège s'étaler devant lui. Son air est grave, anxieux. "Mais que font-ils tous là? Savent-ils au moins pourquoi ils sont ici? Pourquoi ils parlent entre eux, chacun dans leur coin? Mais ils sont où les slogans, les cris et les hurlements?"... autant d'interrogations qui semblent se bousculer dans son esprit et qui font se perdre son regard.. au loin. Moi, j'imagine qu'il est là, désabusé. Et qu'il se dit que cela ne suffira jamais, qu'ils ne sont pas assez nombreux, qu'ils ne savent pas faire. Et que décidément, la société, elle est mal barrée..