Muriel Sutto est une exception, un ovni dans le paysage agricole
français. Pour beaucoup, son approche peut sembler surannée. Elle pense
au contraire que c’est l’avenir du monde rural. À contre-courant et malgré les embuches, Muriel se bat pour ses convictions et pour ce terroir qu’elle aime tant.
Cela fait 7 ans qu’elle a fondé l’hôte paysan à
Espagnac-Sainte-Eulalie. Sous les arcades et dans la cour d’un ancien
prieuré, au pied des falaises calcaires qui surplombent les méandres du
Célé, l’établissement ne sert que des produits issus de son exploitation
agricole. Pour ce projet un peu fou, Muriel s’est associée au départ
avec un restaurateur. Lui aux fourneaux, elle dans les prés et les
potagers. Depuis 2 ans, elle est seule. Avec la double casquette
paysanne-cuisinière, elle poursuit le défi.
Son amour de la
terre et du travail paysan lui a été transmis par sa grand-mère. Cette
immigrée italienne gérait une petite ferme dans le Gers. Son arrivée
dans le Quercy, Muriel la doit aux hasards de la vie, tout le contraire
de son projet qui a longtemps murit en elle. Effrayée par la course aux
subventions et aux financements que l’on vous apprend à chasser dès le
BTS agricole, écœurée par des paysans qui disent ne pas vouloir manger
leurs propres légumes, Muriel a un idéal. Elle n’envisage pas
l’agriculture sous une autre forme : son produit doit atterrir
directement dans une assiette.
Alors aujourd’hui elle gère 15
ha en fermages, la plupart sur le causse surplombant le village
d’Espagnac-Sainte-Eulalie, où paissent ses 30 brebis. De drôles de
fugueuse qu’elle s’efforce de contenir avec des filets électriques que
les bergers utilisent ponctuellement pour rassembler les troupeaux. Pour
elle, c’est en permanence qu’elle doit installer et déplacer les
clôtures, une fois que ses bêtes ont fini leur assiette en mangeant
toutes les espèces de la parcelle. Le reste de ses terres servent au
maraichage. Plus de serre, tout est à l’air libre depuis 2 ans. Ça
fonctionne bien pour l’instant.
Résultat : midis et soirs,
L’hôte paysan sert en moyenne 30 à 50 couverts par repas en été. De 20 à
40 en moyenne saison. Le rythme est soutenu, pour ne pas dire effréné.
La vie de paysan est réputée difficile. Celle de cuistot est épuisante.
Muriel a choisi de faire les deux. Ce qui la fait tenir, c’est la
satisfaction de partager son travail et de valoriser sa production dans
l’assiette que dégustent ses hôtes.
Elle doit avoir de sacrées
convictions quand même. Outre le rythme qu’il faut tenir, nombreuses
sont les embuches à surmonter. Trouver des terres n’est pas une sinécure
: 7 ans après, Muriel est toujours dans une précarité sans nom. Elle ne
possède rien, loue tout. Sans bail rural, elle est à la merci de la
volonté des propriétaires fonciers dont les héritiers préfèrent laisser
une parcelle en friche plutôt que de la vendre. La Mairie vient
également de lui demander de faire autre chose qu’un potager à l’entrée
du village, pour des raisons esthétiques parait-il. A moins que ce ne
soit des représailles après qu'elle se soit présentée aux dernières
municipales.
C’est pas grave, Muriel y croit toujours. En
guise de pied de nez, elle s’est dégotée une associée. Pour pérenniser
son activité dit-elle, et prendre un peu de repos de temps en temps.
Enfin ça, c’est pas sûr.