Thulé est une île légendaire que les Anciens situaient vers l’Islande. Il s’agissait, selon la légende, d’une île marquant la limite du monde, l’extrémité de la terre connue. Thulé personnifiait, en fait, la limite destinée à être dépassée, la limite géographique, certes, mais aussi, dans l’absolu, toutes les limites – physiques, affectives, intellectuelles, spirituelles – et la possibilité pour l’homme d’exception d’aller au-delà de cette limite, c’est-à-dire, de transcender par sa quête, son action et ses mérites, sa condition.
Quelle origine étymologique ? On pourrait raccrocher ce terme à la culture hellénistique. Ainsi, Thulé pourrait découler de « Tele » signifiant « loin de », ou bien « Tholos », que l’on pourrait traduire par brouillard. Une autre acceptation valable du point de vue étymologique, serait celle de Samivel, voyageur et alpiniste chevronné. Dans son livre l’Or de l’Islande il propose une origine celtique : « Thual », ce qui veut dire la Terre du Nord...
Le pouvoir que contiennent ces deux syllabes de Thulé est empli de mystère. Il suffit de les prononcer, devant le feu qui brûle devant la cheminée, et aussitôt les yeux s’emplissent de quelques rêves d’explorateur. Pour comprendre ce mythe il faut s’embarquer, pénétrer les bancs de brume et tenter de franchir ce mur gris, opaque, impénétrable, où le ciel et la mer se confondent en un même instant palpable et glacial, qui barre la route et défend à jamais les mystères de Thulé.
C’est le navigateur marseillais Pythéas (fin IVe / début IIIe siècle av. J.C.), qui en premier a décrit et localisé Thulé. L’historien et géographe antique grec Strabon, bien que critique, rapporte les dires de Pythéas dans son ouvrage De Geographia (2.5.8) : « Thulé, la plus septentrionale des îles bretonnes, est la limite extrême. Elle se trouve à l’endroit où le tropique d’été se confond avec le cercle arctique ». Ultima Thulé au sens de la terre ultime, la terre extrême, la plus au nord… Les seuls reliquats tangibles des récits de Pythéas sont les écrits de Strabon. En effet, la totalité des travaux et carnets de voyage du Marseillais a disparu dans l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie.
Pythéas le massaliote reste le seul navigateur connu de l’Antiquité qui soit allé jusqu’à Thulé. On imagine mal aujourd’hui la somme de connaissances et de courage qu’il a fallu pour arriver jusqu'à l’île mystérieuse des hyperboréens. Le mythe de Thulé c’est aussi, cette grande saga maritime, cet affrontement de l’homme avec l’océan et avec la peur : Pythéas donne à la légende sa véritable dimension.
Identifier Thulé a longtemps préoccupé géographes et historiens. On peine à comprendre les hésitations où les erreurs de tous ceux qui ont essayé de situer Thulé ailleurs qu’en Islande. Car bien que fragmentaire, le témoignage de Pythéas sur cette découverte est capital. Selon lui, Thulé se trouve à six jours de navigation du pays des Pictes. Apparemment il a mis sept jours Pour couvrir les milles kilomètres qui séparent les caps pyrénéens du Roussillon et le détroit de Gibraltar. Le trajet de l’Ecosse à l’Islande, par les Iles Féroé, représente environ la même distance de mille kilomètres. Pythéas situe par ailleurs, Thulé, au nord de la Grande-Bretagne. Son trajet l’amène obligatoirement vers l’Islande.
Cette île mystérieuse, beaucoup on voulu la situer avec précision sur la carte, sans d’ailleurs, très bien comprendre que l’Ultima Thulé reste, même au temps de Pythéas, un symbole spirituel, bien plus que géographique. Il faut comprendre que Thulé l’Ultime, n’est pas Thulé l’Unique : spirituellement Thulé reste une île sacrée, comme Iona pour les Celtes et Héligoland pour les Germains. Dès la plus haute Antiquité, Thulé devient l’île solsticiale par excellence.. Ultima Thulé désigne ainsi toutes les terres boréales.
Le fait que Thulé puisse ainsi renvoyer à différents lieux géographiques laisse entrevoir des similitudes avec une autre île antique et mythique, l’Atlantide. Le symbole de ce rapprochement entre Thulé et l’Atlantide se retrouve dans un texte du XII ème siècle. Honorious Augustutodunensis évoque l’Île Perdue « qui se cache à la vue des hommes, est parfois découverte par hasard, mais devient introuvable dès qu’on la cherche. » Ici Thulé l’ultime devient Thulé l’inaccessible..
Pour moi aussi, l'Islande était inaccessible. Au nord, tout au nord.. Pays de feu, de glace, d'aurores boréales.. Un fantasme de géographe et de fou de nature. Un lieu unique, à nul autre pareil. La terre ultime, où la nature grandiose dicte sa loi, où l'Homme est confronté à des conditions de vie exceptionnelles.
Pour moi aussi, l'Islande est l'Ultima Thulé ...