Visage atypique, presque le sourire, presque l'envie de se battre encore. Le visage du travail, de l'ouvrier militant.
Et en arrière fond le mélange des couleurs et des âges.
On y croit encore?
C’est la question que je me pose en rentrant chez moi, trempé comme un rat, après
ma 2
ème participation au défilé de la Fête du Travail à Lyon.
Faut-il croire encore au gouvernement, ou à la classe
politique en général ? Sont-ils en mesure d’amener le changement promis
et tant espéré ? En ont-ils les moyens ? En ont-ils l’envie ? J’ai
été assailli par une sensation désagréable, jamais ressentie jusqu’à présent :
je me suis trouvé dans un cortège, dont je pouvais partager nombre de
revendications si tant est qu’elles fussent réalistes, à dénoncer l’action (ou
l’inaction) d’un gouvernement pour qui j’ai voté il y a un an, avec le fol
espoir qu’il arriverait à raviver la flamme, la cohésion collective faisant que
tous les français pourraient marcher ensemble, vers un avenir meilleur. Les
slogans, les banderoles, les discussions … tout m’obligeait à accepter ce que
jusqu’à présent j’essayais d’occulter : un an après l’accession de la
gauche au pouvoir, je suis frustré, déçu. Désabusé aussi peut-être. Pour la 1ère
fois, j’ai revendiqué ma désapprobation à l’encontre d’une majorité qui devrait
être mienne.
Et pour tout vous dire, ça fait chier.
Mais alors, faut-il y croire encore ? Sommes-nous
dépités, déçus au point de ne plus croire au changement ? Non, je crois qu’il
faut encore y croire, ce défilé et ses slogans doivent être perçus comme l’expression
criante des attentes placées en nos dirigeants. Que notre espoir n’est pas
mort, que nos rêves ne se sont pas envolés. Comme un cri du cœur : le
changement, c’est maintenant. On l'attend. Allez-y!
Faut-il croire à la mobilisation ? Aux vues du monde
dans le cortège, pas trop. Il faut dire que l’an dernier, la barre avait été
placée très très haut. Le beau temps, l’entre deux tour qui faisait que ce 1er
Mai avait des airs de réquisitoire contre le sarkozysme et des années de droite, l’espoir suscité par
les promesses de changement… tout était réuni pour que le défilé prenne la
forme d’une marée humaine. Et ce fut le cas : entre 10 et 20 000 participants
à Lyon (chiffres police vs estimation syndicats), dans une ambiance familiale
et bon enfant aux doux relents de 68… Cette année, la pluie et les déceptions
successives ont fait fondre les effectifs : entre 2 700 et 4 000
personnes (j’étais assez content, mon estimation tablait sur 2 à 5 000).
Gloup. Divisé par 5.
De ce point de vue, les effectifs d'Europe Ecologie Les Verts sont très représentatifs. L'année dernière, ils occupaient toute une longueur de la place Jean Macé. Bien Dense. Cette année, au fond du cortège, ils étaient moins de 20. Quant au PS, inexistant. Ou peut-être ne l'ai-je pas vu. Dans tout les cas, y'a un problème, parce que j'ai parcouru en long en large et en travers le cortège.
Comme je le pensais (ou plutôt l'espérais), le peu de motivés présents étaient des vrais.
Syndiqués, actifs dans la vie politique ou associative, convaincus de la
justesse de leur cause, marqués par une vie sans doute pas toujours facile. Un concentré de
bonheur pour le photographe que je suis. Vue la taille du cortège, avec mon frangin on a pu
jouer à « mais dis-donc, qui est-ce qu’on retrouve là ? » :
entre 5 et 10 personnes que j’ai déjà pu prendre en photo, l’an dernier ou il y
a plus longtemps, lors des 1ères manif’ dans lesquelles je me suis essayé à la
prise de vue.
Une Marianne d'aujourd'hui
Le petit bonhomme est rouge....
et le progrès social à l'arrêt
Voilà qui m’amène au seul vrai point positif de la matinée. Les jours précédents, j’avais regardé la météo régulièrement et de manière très précise. Je
savais donc que je n’aurais que peu de temps, les averses annoncées ne me
permettraient pas de photographier quand elles commenceront à tomber. Alors je
suis rentré dedans, sans échauffement. Pas de chichi, pas de temps d’adaptation,
mais directement dans le tas, à immortaliser des gueules et des figures qui
m’interpelaient.
En tout et pour tout, j’ai pu shooter pendant 1h – 1h 15 max.
75 photos à peu près, l’équivalent de 2 pelloches. Très très peu de déchets liés à une mise au point approximative ou une expo mal gérée (de ce point de vue, l’absence de soleil est un sacré
plus : les nuages diffusent la lumière et suppriment les ombres : pas
de risques de gros contrastes entre zones d’ombres bouchées et zones lumineuses
cramées). Même en me mettant très près des personnes, je suis parvenu à
effectuer correctement ma mise au point, et peu de photos sont ratées. Ce qui d'habitude n'est pas une gageure chez moi. Après
une première sélection, j’ai ai retenu 37. Celles supprimées étant souvent des
doublons, réalisée pour assurer la prise de vue. J’ai donc été productif, et ça me
prouve que je progresse. En racontant ça à ma petite femme, au fil de la discussion, j'ai fait le parallèle avec le théâtre, ou une prise de parole en public. On a le trac, une pudeur qui fait que le regard des autres nous inhibe. Aujourd'hui, j'ai réussi à lâcher prise, à me lâcher, dès que j'ai sorti mon appareil. Comme si j'entrais dans un personnage, ou enfilais un costume. Comme si j'assumais le fait de photographier des inconnus, de leur voler une part d'intimité : ça m'a permis de me planter devant eux, comme un gros bourrin : mise au point, cadrage, un sourire, c'est fini. Le tout à 70 cm. Chouette.
A aucun moment je n'ai ressenti une gène, ou été freiné dans mes prises de vues par un blocage. En entrant
pleinement dans la peau d’un photographe, sans me soucier des réactions, j’ai
gagné du temps (je ne tournais pas autour, à attendre plus ou moins que le
sujet s’habitue à ma présence, mais je fonçais) et surtout beaucoup d’efficacité.
J’assume de plus en plus l’acte photographique, ma démarche. Et ça, c’est un
grand pas pour moi.
92 printemps au compteur.. Son regard, sa droiture et ce sourire esquissé
sont venus me chatouiller la rétine.
Comme l’an dernier, je suis parti avec le couple boitier +
35 mm. Je n’ai pas cherché à retranscrire l’ambiance. D’une parce que je n’y
arrive pas. De deux parce que pour le coup, il n’y en avait pas. J’ai donc poursuivi
la démarche de l’an dernier : immortaliser les visages de ceux qui
défilaient. En essayant de mettre en lumière les traces de la vie sur leur
visage, la rudesse de leur existence, mais aussi l’empathie qu’ils font naître
chez moi. Et pour oublier la morosité ambiante, j’ai essayé de booster les
couleurs…
Je perçois mes portraits comme le reflet de ce monde de
travailleurs qui ont fait et font notre société, de cette diversité qui est la notre et qui constitue la richesse de notre histoire commune. Mon souhait est qu’en les regardant, on ait encore envie d’y
croire. Ensemble.
Parce que le changement, même si c’est pas maintenant, c’est important.